17 Jan à 10:00

MAKING-OF | Propagation éclair, chasseurs d'images déchaînés, calendrier imprévisible : les journalistes de l'AFP face aux incendies de Los Angeles

Des habitants au milieu de quartiers en flammes, des chasseurs d'images qui font voler leur drone au risque de gêner les pompiers, un calendrier des incendies devenu imprévisible : les feux qui ravagent Los Angeles depuis le 7 janvier ont confronté les journalistes de l'AFP à des situations parfois inédites.

Jamais la deuxième mégapole américaine n'avait connu une tel brasier, conséquence d'une sécheresse extrême durant l'automne et du phénomène venteux Santa Ana, à l'origine de rafales d'une puissance sans précédent depuis 2011.

Dans cette ville qui s'étend sur quelque 1 300 km², les deux zones les plus touchées par les feux sont à deux extrémités : à l'Ouest, Pacific Palisades et Malibu, quartiers plus habitués à défrayer les rubriques People ou Tourisme, et à l'Est, Altadena.

Moins huppé, ce quartier qui passait pour un rare coin de paradis encore abordable du sud de la Californie, est devenu l'autre grand foyer de ces incendies historiques.

 


Une image prise par une caméra aérienne montre les dégâts causés par le feu de forêt sur un panneau de signalisation de la rue Altadena Drive et sur une maison détruite par l'incendie Eaton à Altadena, dans le comté de Los Angeles, en Californie, le 14 janvier 2025. © Patrick T. Fallon / AFP
 

« Tout est allé si vite »

Pour Josh Edelson, photographe, et Gilles Clarenne, vidéaste, deux des journalistes mobilisés par l'AFP sur ces incendies, la progression foudroyante des feux en zone urbaine est un des aspects les plus frappants de ces évènements.

« D'habitude, quand je suis sur un incendie, il y a juste les médias et les pompiers », dit Edelson, spécialisé dans la couverture des incendies et catastrophes naturelles depuis 15 ans.

Mais à Altadena, « tout est allé si vite, les gens n’ont pas vraiment été évacués (...) Du coup on a des maisons qui brûlent, des personnes âgées qui déambulent devant leur maison en feu, des gens qui circulent en moto au milieu des braises... C'était dingue pour moi de voir ça, car c'est incroyablement dangereux pour des gens qui ne savent pas comment se comporter face au feu ».

 


Des pompiers interviennent alorsqu'un immeuble brûle lors de l'incendie d'Eaton dans la région d'Altadena, dans le comté de Los Angeles, en Californie, le 8 janvier 2025. © Josh Edelson / AFP


« Habituellement quand on va sur des incendies, c'est dans des quartiers plus isolés, avec de la végétation dans les montagnes de Los Angeles qui brûle. (Le feu) va atteindre peut-être une, deux, trois maisons », jamais « un quartier entier » comme à Altadena, dit Clarenne.

D'où la lourdeur du bilan : au moins 24 morts à ce jour, plus de 12 000 structures et véhicules détruits ou endommagés, près de 90 000 personnes toujours évacuées, et des dommages estimés par le président Joe Biden à plusieurs dizaines de milliards de dollars.


 
Lebron Jones (au centre) s'essuie les yeux en regardant sa maison brûlée lors de l'incendie d'Eaton dans la région d'Altadena, dans le comté de Los Angeles, en Californie, le 8 janvier 2025. © Josh Edelson / AFP

« Comme une mouche sur un mur »

Pour Edelson, pas question d'aborder une telle situation sans respecter quelques règles d'or : s'équiper des pieds à la tête et toujours donner la priorité aux pompiers.

« Je reste à l’écart, je ne passe pas devant eux, je ne leur parle pas. Je suis comme une mouche sur un mur », dit-il. Vêtu d'un costume jaune anti-feu complet, lunettes, casque avec lampe, gants, masque couvrant cou et visage, « je suis habillé exactement comme les pompiers », ajoute-t-il. « C’est impératif (...) Une braise atterrit sur votre tête, et vos cheveux sont en feu. » 


« Tout le monde veut sa part d'incendie »


Dans ce contexte, le photographe se dit particulièrement frappé par la présence sur les lieux du drame de live streamers, influenceurs et autres chasseurs d'images non professionnels - particulièrement nombreux selon lui dans la capitale du show business qu'est Los Angeles.

« Tout le monde veut sa part d'incendie », dit-il. Il raconte avoir vu des personnes « inexpérimentées et sans protection »  s'aventurer dans les zones sinistrées, n'hésitant pas à arrêter leur voiture au milieu de la route et bloquer l'accès des pompiers pour prendre une photo au smartphone.

Certains n'hésitent pas à enfreindre les interdictions d'utilisation de drones pour survoler et filmer les zones touchées, interdictions destinées à sécuriser les interventions des secours.

Au risque de provoquer une collision, comme cela a été le cas lorsqu'un drone a heurté et endommagé jeudi dernier un avion-citerne. LE FBI a ouvert une enquête pour retrouver le propriétaire, et renouvelé ses injonctions à respecter les zones interdites.

Pour l'AFP et les autres médias professionnels, la seule option est de louer un hélicoptère et s'en tenir aux zones de survol autorisées - quitte à renoncer à filmer certaines zones sinistrées, expliquent Edelson et Clarenne.

 


Un hélicoptère de pompiers largue de l'eau alors que l'incendie de Palisades prend de l'ampleur près du quartier de Mandeville Canyon et d'Encino, en Californie, le 11 janvier 2025. © Patrick T. Fallon / AFP

« Comme un four à pizza » 

L'expérience d'Edelson lui a permis, au plus fort de l'incendie d'Altadena, de pénétrer pour la première fois avec les pompiers au cœur d'un brasier - celui qui a englouti une école primaire.

Lorsqu'un des pompiers propose au photographe de rentrer dans l'établissement, Edelson croit d'abord qu'il plaisante. Mais non : le pompier lui montre « une porte qui brille toute entière d’une lueur orange vif, ce qui veut dire que le feu est juste derrière ». Puis l'ouvre, découvrant l'auditorium de l’école entièrement dévoré par les flammes.

« Une scène de dingue », dit-il, « comme si on était à l'intérieur d'un four à pizza ».

Pour autant, ce vétéran des incendies ne s'est pas senti particulièrement en danger : la couverture des feux de forêt est plus dangereuse, dit-il, car il n'y a souvent qu'un seul chemin pour en sortir, alors que dans un environnement urbain aux rues quadrillées, les issues de secours potentielles sont multiples.

 


Des pompiers s'apprêtent à combattre les flammes à l'intérieur de l'auditorium de l'école primaire Eliot Arts Magnet lors de l'incendie d'Eaton dans la région d'Altadena, dans le comté de Los Angeles, en Californie, le 8 janvier 2025. © Josh Edelson / AFP


« Moments difficiles » 


Un tel désastre donne immanquablement lieu à des scènes de gens en détresse, et des « moments difficiles » à couvrir pour les reporters, dit aussi Gilles Clarenne, qui a lui-même dû évacuer brièvement sa maison la semaine dernière avec sa femme et sa fille.

Notamment quand des habitants demandent aux journalistes - qui peuvent accéder aux zones évacuées par les autorités contrairement au reste de la population - d'aller voir l'état de leur maison, adresse à l'appui, explique le vidéaste.

« Ils nous donnent leur numéro de téléphone, et on va voir ces adresses. Parfois on a de bonnes nouvelles, on leur envoie des photos de maisons qui sont toujours debout. À d'autres moments, on doit leur envoyer des photos et des vidéos de cendres de maisons qui ont disparu. Ça, c'est compliqué...» , dit Clarenne.

Même si les images montrant les émotions des sinistrés sont « celles qui ont le plus d'impact », dit Edelson, « jamais je n'oublie le fait que ces gens traversent un moment très difficile (...) Je ne m'impose pas s'ils sont mal à l'aise. En général je dis quelque chose du genre, +Est-ce que ça va si je reste là ?+ S'ils disent ok, je me détends et je fais mon truc ».

 


Une famille s'étreint et pleure devant les restes brûlés de sa maison lors de l'incendie d'Eaton dans la région d'Altadena, dans le comté de Los Angeles, en Californie, le 9 janvier 2025. © Josh Edelson / AFP

« Tout devient plus extrême »

Une chose est claire : ces évènements auront eu raison des dernières certitudes que pouvaient avoir les journalistes sur la prévisibilité des incendies en Californie. D'autant que des périodes de sécheresse extrême comme celle qu'a connue la région ces derniers mois, en partie à l'origine de ces incendies, risquent de se multiplier avec le réchauffement climatique.

« Typiquement, la saison des incendies commençait aux environs de juillet et durait jusqu’en octobre, et ensuite, on avait encore peut-être un ou deux grands incendies, car c'est là que les vents commencent », explique Edelson. Comme ce fut le cas pour l'incendie qui détruisit la ville de Paradise, dans le nord de la Californie en novembre 2018.

Mais « tout devient plus extrême », dit le photographe, « aucune règle de calendrier ne tient plus ».

« Le fait est que ces incendies se déclarent maintenant à n'importe quelle saison, et qu'ils sont plus intenses », résume Clarenne.


Propos recueillis par Catherine Triomphe et Michaëla Cancela-Kieffer, mis en forme par Catherine Triomphe à Paris.